samedi 21 décembre 2019

L'albatros

"Ça arrivera. Il y a cette conviction toujours qui précède les grands vertiges. On sait que ça arrivera. Sentir l'électrochoc. C'est pas souvent, c'est pas conscient. C'est rare, précieux et fragile comme un amour naissant."

Nicolas Houguet, L'albatros, Stock, 2019, p. 26. 

"La voix scande les premiers accords de Gloria.

"Jesus died for somebody'sins but not mine."

Ça commence doucement. Une transe, une caresse, une tempête annoncée dans une brise. La menace d'un vertige. Récolter les raisins de la colère et de la passion. La folie des étreintes, des révoltes et du désir. La beauté d'une femme qui se libère."

Nicolas Houguet, id., p. 35.


"Quand on vit assez longtemps, au-delà de la barre fatidique des dix-sept ans, on peut se confronter à ce genre de désillusion. Je rêvais d'être comme eux, les artistes, les aventuriers, les célestes, les tourmentés, les profonds. Je ne le suis pas. Je ne suis pas un poète vagabond. Les voyages m'angoissent, bien souvent. Je n'aimerais pas davantage être l'ami d'un junkie suicidaire ou d'une fille perdue. A m'approcher de tout cela, souvent, je me suis découvert  une lâcheté ordinaire devant les trop grands vertiges. Je dis aimer l'opéra, mais je pose encore un peu... Je déteste les éclats de voix, les querelles et les quatre vérités."

Nicolas Houguet, id., p. 74-75.

"J'ai appris à ne pas mépriser les jours qui passent. Les abandons dont ils vous chargent. En même temps que les rires, les regrets, les esquisses, les attentes, les joies, les déceptions. Il y a des immensités, des vertiges dans les banalités."

Nicolas Houguet, id., p. 82.

"J'ai commencé tôt. En bouffant toutes les vidéos que je pouvais trouver de Morrison, tous les enregistrements, même les inédits. Une mission d'archiviste fou. Je me souviens que je m'étais allongé sur le sol de ma chambre et que j'avais écouté les six albums des Doors en une après-midi. Du vertige, de l'ivresse et de l'état second. J'arrivais à me défoncer rien qu'en écoutant de la musique. C'était une drogue puissante. Je me souviens de cette autre fois où j'ai exercé mon anglais encore balbutiant à traduire When the music's over, le front plissé, concentré sur le dictionnaire bilingue."

Nicolas Houguet, id., p. 134.



  "Patti chausse ses lunettes de lecture en les qualifiant de "tragédie du grand âge" avec un rire. Elle plaque les premiers accords de Beneath the southern cross, se dirigeant vers son complice Lenny Kaye. Si elle joue de la guitare, c'est grâce à son époux, Fred Smith. Il lui en a appris les rudiments dans un dernier beau geste, alors qu'il était très malade. Il lui a laissé cet héritage précieux. Elle a composé cette chanson. Avec un seul accord en ré dans son introduction. Le seul qu'elle connaissait.
    Elle s'interrompt. Si elle marche avec ses lunettes, elle est prise de vertiges. Elle avait prévu de lire un texte et avait dû trouver une solution de fortune, réalisant qu'elle ne pouvait jouer de la guitare et brandir sa feuille blanche dans le même temps. On rit. On est avec celle. Il en faudrait plus pour qu'on lâche sa main."

Nicolas Houguet, id., p. 183.
"Patti Smith a écrit son texte au début de sa relation, alors que Fred et elle vivaient loin l'un de l'autre. C'était avant l'ère des portables, d'internet et des messageries instantanées. Ils ne pouvaient s'appeler que de temps en temps, le soir, et ça coûtait de l'argent. La chanson est née alors qu'elle attendait son appel. Se languissait de lui. Dans ces moments d'intenses anticipations, ces gouffres que seuls les amoureux séparés connaissent. Ces vertiges de crainte et d'impatience mêlées. Dans le regret de tout ce qu'ils n'avaient pas encore vécu ensemble."

Nicolas Houguet, id., p. 207.

dimanche 1 décembre 2019

Qui m'avait refilé cette tête ?

"Pour Jordan, cela pouvait être plus compliqué : il se prenait à l'évidence pour un grand patron de presse - mais c'est ce qu'il était, justement... Il y avait là-dessous quelque forme de vertige que je pressentais sans parvenir à l'expliquer. Je n'avais pas non plus élucidé la condition des maîtres de maison et de leurs assistants dont la vocation paraissait singulière. Jusqu'à quel point étaient-ils administrateurs ou surveillants ? N'étaient-ils pas un peu pensionnaires eux aussi ? Ne pouvait-on pas trouver un Directeur derrière tout ça et de quoi étais-je responsable ? Si vous possédiez un champ ou même un simple lopin de conscience, vous étiez quotidiennement torturé par tout un tas de questions."

Jacques A. Bertrand, Je voudrais parler au directeur, Bernard Barrault, 1990, p. 66.


"Un sentiment d'injustice venait de m'oppresser. Qui m'avait refilé cette tête ? Mes parents ne pouvaient être tenus pour responsables, ne sachant pas davantage de qui ils avaient reçu la leur, et dans mon désarroi se profilait une autre question, encore plus insidieuse : qui vait refilé cette tête à qui ?
- Vertigineux, non ? En fait, je suis cette tête que je ne sais qui m'a donnée, que je ne me souviens pas d'avoir reçue et que je ne reconnais pas. Quand je crois la reconnaître, c'est encore pire : qui reconnais-je ? Je m'exprime à la première personne mais ce n'est qu'une façon de parler, vous m'avez compris..."

Jacques A. Bertrand, Je voudrais parler au directeur, Bernard Barrault, 1990, p. 82.

"Ma vie changeait. Rien n'était changé, fondamentalement : je me rétablissais. Vous n'arrêtiez pas de vous plaindre de vertiges et, un jour, vous découvriez que, depuis des années, vous vous teniez debout sur la tête."

Jacques A. Bertrand, Je voudrais parler au directeur, Bernard Barrault, 1990, p. 135.

"Ainsi Jordan était l'un des gardiens de l'Accord Tacite. S'était-il désigné lui-même comme fauteur de trouble ? C'était un cas intéressant de vertige du directeur. A force de prendre le jeu au sérieux - Le Pape, le Président, le Journaliste...- , depuis le temps qu'il le jouait, il s'était peut-être senti sur le point de voir que tout était un jeu. Que le consensus général tenait à une vague bonne volonté, une habitude... Alors, l'immense liberté entrevue par la fissure, le formidable abîme, lui aurait fait peur. Il se serait mis à couvert..."

Jacques A. Bertrand, Je voudrais parler au directeur, Bernard Barrault, 1990, p. 148.