mercredi 23 octobre 2019

Quand nos cerveaux seront connectés

Andrea Stocco: “Je suis la première personne au monde à avoir reçu un ordre d’un autre cerveau et à y avoir obéi sans savoir que je le faisais ni quand je le faisais”

Face aux inquiétudes de Slavoj Žižek, Andrea Stocco, l’un des concepteurs de la première interface non invasive de « collaboration » entre plusieurs cerveaux, se montre plus enthousiaste. Pour lui, la perspective de connecter entre eux des millions d’esprits ne fait qu’élargir les modes de communication humaine. Vertigineux ! 

Andrea Stocco

Cet Italien est professeur au département de psychologie et codirecteur du laboratoire de la cognition et des dynamiques corticales à l’Université de Washington (Seattle, États-Unis). Ses recherches portent sur le codage neuronal des représentations abstraites et leur modification dans le comportement. Il a participé à l’expérience BrainNet qui a réussi à mettre en place la première interface non invasive reliant plusieurs cerveaux. Les résultats ont été publiés dans la revue Nature, au mois d’avril 2019.


Été 2019 - N° 131. Dossier : Quand nos cerveaux seront connectés

lundi 21 octobre 2019

Parasol enluminé des séquoias géants

" La suite s'accomplit comme en rêve - services, smashes, amortis, lobs, plongeons, coups gagnants qui explosent comme des grains de pop-corn, point du règlement qui exige le port de la robe, indécision qui contribue à la gloire du sport, décélération vertigineuse, volant qui n'en finit pas de voler.
Il est temps d'achever la traversée. A travers la brume, ils passent le long d'îles qui semblent flotter. Derrière les nappes de brume, ils parviennent en vue de Marathon, accostent sur une plage de galets qui brillent sous l'eau comme des poissons. Ils prennent pied sur le territoire des Anishinaabe, le peuple des origines, déjà ici cinq siècles avant notre ère, qui fabriquait déjà des canoës en bouleau et des ustensiles en cuivre. Pendant quelques mois après la guerre, Marathon a été nommée Everest, no pour saluer le plus haut sommet du monde, mais pour faire plaisir à Mr Everest, le président du consortium qui possédait l'usine de pâte à papier.
Au coin de la Transcanadienne, Reed et Kerouac s'éclipsent. Martin et Jack abandonnent leurs canoës en cèdre dans une cabane de pêcheur. Apaisés, inséparables, ils descendent au Zero-100 Motor Inn. A l'orée de la nuit, ils tombent dans les bras l'un de l'autre, se félicitent de ce bout de chemin en commun et regrettent que cet intermède prenne fin. Même s'ils font encore entendre les timbres d'une désolation qui n'a de la désolation que les attributs de ce qui fut magnifique. Et vous deux, mes bien-aimés, je vous bénis quand vous passez, l'un après l'autre, sous le parasol enluminé des séquoias géants."

Bernard Chambaz, Un autre Eden, Seuil, 2019, p. 224.




NB : C'est le dernier "vertige"  (ici "vertigineuse") enregistré dans le récit de Bernard Chambaz. Curiosité : les quatre occurrences relevées se situent toutes en fin de chapitre.

dimanche 20 octobre 2019

Notre lot commun de mélancolie

"Au ranch, les fêtes et les soirées dansantes sont moins joyeuses sans Jack, malgré nombre de visites palpitantes. Lindbergh et Amundsen lui en remontrent avec les airs et les pôles. Mais son diabète s'aggrave. Elle [Eliza, la demi-sœur de Jack London] marche avec difficulté, les pieds enflés, les yeux voilés. Le médecin refuse ses dollars. Mais il accepte des premières éditions des romans de Jack London, que sa fille revend en catimini.
Les derniers temps, Eliza cède au vertige du spiritisme. Une fois, elle revoit Jack. Il marche dans un tunnel. C'est tout.
Elle meurt à soixante-treize ans. La presse californienne unanime salue Eliza Shepard, une pionnière du XXe siècle, dévouée et patriotique, réputée pour sa passion des activités en plein air. Les notices nécrologiques rappellent parfois qu'elle était la soeur de Jack London. Selon ses vœux, parmi les intimes appelés à porter son cercueil, c'est une première, il y a une femme."

Bernard Chambaz, Un autre Eden, Seuil, 2019, p. 131-132.

"Personne ne pouvait s'attendre à ce qui suivit et qui donne le vertige. Le premier tirage de dix mille exemplaires est épuisé en vingt-quatre heures. Il s'en vendra des millions. Sans qu'il touche un cent de plus. Tout va à une extrême vitesse et il faut garder la tête froide, autant que possible. La célébrité lui plaît et l'encombre, les comparaisons lui plaisent et l'embarrassent. Les femmes ne le regardent plus comme avant, ou est-ce une impression ; les camardes non plus, au moment où The Comrade publie Comment je suis devenu socialiste, qui ramasse le choc qu'ont été la vision de l'abîme social où il s'est vu glisser naguère et le spectacle de l'Abîme des bas-fonds dont les miséreux ne se relèvent pas. Il ne mégote pas mais il ne se fait pas que des amis parmi les camarades, car si le socialisme est une nouvelle naissance, un degré supérieur de la conscience, Jack donne la primauté à l'individu sur les masses avec ce singulier mélange d'orgueil et d'humilité qui le constitue. "J'étais déjà cela, quel que soit le nom qu'on lui donne, et, avec l'aide des livres, j'ai découvert que cela, c'était socialiste."
A vingt-sept ans, il est devenu riche et il ne songe qu'à naviguer et à écrire jour et nuit, sur son voilier. A qui pourrait-il confier qu'il a le sentiment d'avoir fait son Moby Dick, que son Buck est sa baleine, qu'il ressemble à ce chef d'oeuvre, en bref, en bâtard, en plus léger mais couronné par une transcendance du même ordre, que le chien-loup a ses quartiers de noblesse et que toutes ses pages noircies visent à contourner notre lot commun de mélancolie."

Bernard Chambaz, Un autre Eden, Seuil, 2019, p. 172-173

Eliza Shepard stands with Milo Shepard and group of unidentified people in front of stone house (1937-07-27)



mercredi 16 octobre 2019

Un autre Eden

"A la longue, j'arrive à hauteur des glaciers qui se déploient en splendeurs jusqu'au bord de la promenade. D'après les géologues, le glacier Athabasca a pourtant reculé d'un kilomètre depuis un siècle et la fonte s'accélère à une vitesse vertigineuse. Dans un autre siècle, on longera des champs de coton. Mais, il faut s'y faire, mon amoureuse aura lâché le volant de sa Dodge et nous n'aurons plus cette chance unique de nous balader à travers le monde sans toujours savoir ce qui nous pousse, ou nous tire, en avant. Quoi qu'il en soit, j'aurai connu là une de mes plus belles journées à vélo. Dilatée, c'est le mot, à la mesure de mon coeur et de l'étendue. Après huit heures de selle, je suis ravi, comblé par ce paysage qui me colle à la peau, apaisé par la débauche d'efforts, n'en abordant pas moins les dernières lignes droites avec une joie furieuse, finissant par pédaler comme en rêve et, somme toute, heureux d'arriver même si on voudrait tant que ça ne finisse pas."

Bernard Chambaz, Un autre Eden, Seuil, 2019, p. 68.


lundi 14 octobre 2019