vendredi 4 septembre 2020

Nul mieux que Régy

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Parents du silence, ces vides vertigineux par lesquels Régy entendait « illimiter l’espace » s’imposaient à nous dès l’entrée dans la salle comme une respiration autonome et nous n’en perdions jamais la sensation au cours de spectacle. Autant chambre d’échos de la scène qu’entité en soi, massifs, incontournables, ils agissaient sur nous comme une fantastique puissance de suggestion – mais suggestif de quoi, au juste ? Pour Variations sur la mort, pièce centrée sur le suicide d’une jeune femme, de l’insignifiance de la vie humaine au bord d’être engloutie par le néant, réduite à une petite surface éclairée où passent quelques personnes à travers une assez courte unité de temps ? du mystère insondable de la pulsion de mort ? de toute angoisse existentielle ?

Pour Holocauste, où ce vide était dans notre dos (et le spectacle fut parfois donné dans d’immenses hangars abandonnés), de l’ampleur de l’absence des six millions de disparus du judéocide ? du volume de silence de leurs voix éteintes ? de la mesure incommensurable de l’horreur qui nous était décrite ? de l’ampleur infinie de la mémoire qu’il faudrait lui accorder ? Chaque membre du public y aura répondu à sa manière – et chaque réponse n’aura fait qu’amoindrir la portée abyssale de l’interrogation appelée par cette masse impénétrable.

Ce vide obscur était pour Régy une matière propre qu’il travaillait plastiquement pour y sculpter de la présence par un maniement sans égal de la lumière. Il dirigeait ses éclairagistes pour qu’elle intervienne de manière indirecte par réflexion et irradiation, à basse, voire très très basse intensité, au point qu’elle relevait plutôt de la résonance et n’agissait plus comme une force contraire à l’obscurité mais comme une transparence creusant son opacité. Son émergence était d’autant plus un événement que les spectacles s’ouvraient par une lente descente au noir, maintenu intégral pendant plusieurs minutes. [...]"

David Tuaillon, Nul mieux que Régy, AOC, 13 février 2020.

Claude Régy © F. Beloncle


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