samedi 15 février 2020

La sourate du vide

"Je me trouvais alors - c'était en 1953 - dans cette région aride, écartée, inhospitalière du mont Athos qu'on nomme le désert de Karoulia, dans la grotte-cabane du staretz russe Nikône. Nous venions de bavarder de la solitude, de la méditation, de la prière, lorsqu'au seuil de l'après-midi (en précisant qu'à Athos personne n'a de montre et que le temps se perçoit uniquement en fonction du soleil dont le lever, le zénith, le coucher rythment les liturgies et le temps du repos), il me demanda l'autorisation de se retirer pour dormir un peu. Et je restai seul sur le petit terre-plein qui domine la mer.
Oui, seul... mais avec des centaines d'insectes assourdissants crissant et stridulant dans les buissons de la falaise. Seul... mais avec des dizaines d'ermites dont les crânes soigneusement empilés reposaient dans une petite pièce attenant à la grotte. Seul... mais avec l'impérieux, l'inexplicable sentiment d'être à la fois au coeur de la plus extrême solitude et ramifié, étendu, distendu au-delà de tout horion décelable, d'être figé au centre immobile d'un vertige."

Jacques Lacarrière, Sourates, Fayard, 1982, p. 108-109.

La sourate du vide

Désapprendre. Déconditionner sa naissance. Oublier son nom. Etre nu.
Dépouiller ses défroques. Dévêtir sa mémoire. Démodeler ses masques. [...]

Déjouer la déraison. Déflorer le délire. Défroquer le sacré. Dégriser le vertige.

Jacques Lacarrière, Sourates, Fayard, 1982, p. 160.



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