"A Auschwitz, Pilecki reste un soldat, un insurgé : à ses yeux, son statut de détenu n'est qu'une couverture, ce dont rend compte le titre choisi pour raconter cette histoire. Certes, pour les historiens, le "Rapport W" désigne un court texte de 1943, une première version du récit qui est ici adapté, mais cette appellation permet de mettre en valeur le lexique de l'espionnage et du contre-espionnage dont Pilecki use dans son témoignage final : à l'origine, tous les noms y sont d'ailleurs cryptés, et la "clé" ayant été perdue, seule une partie des membres du réseau ont pu être identifiés. Et puis "W", c'est aussi Georges Perec et de nouveau Auschwitz, "l'Histoire avec sa grande hache [...] : la guerre, les camps*". Le narrateur de W de Perec refuse lui aussi d'être un héros, mais en double inversé de Pilecki, il est réticent à témoigner : "Je m'y résous aujourd'hui, poussé par un nécessité impérieuse, persuadé que les événements dont j'ai été le témoin doivent être révélés et mis en lumière. [...] Longtemps j'ai voulu garder le secret sur ce que j'avais vu ; il ne m'appartenait pas de divulguer quoi que ce soit sur la mission que l'on m'avait confiée, d'abord parce que, peut-être, cette mission ne fut pas accomplie - mais qui aurait pu la mener à bien ?"
Comme le fait Pilecki, cette bande dessinée manie donc les codes de l'espionnage : le vertige des chiffres (matricules, identités du réseau, décompte des jours, des morts) mais aussi des sigles que Gaétan pousse jusqu'au cocasse."
*, Georges Perec, W ou le souvenir d'enfance, L'Imaginaire Gallimard, 1993 (Denoël, 1975)
A propos du rapport Pilecki, Isabelle Davion, postface à Le Rapport W, infiltré à Auschwitz, Gaétan Nocq, Daniel Maghen, 2019.
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