lundi 20 juillet 2020

Il avait affaire à l'oeuvre d'un fou

"Le petit livre intitulé Ignis fatuus ou Jeu instructif pour un seul joueur était tout simplement la règle du Jeu - rédigée en latin et en polonais. Le châtelain la feuilleta de bout en bout et l'estima fort compliquée. La règle décrivait dans l'ordre les conséquences de chaque jet de dé, chaque mouvement des figures et chacun des huit mondes. La description semblait incohérente, pleine de digressions, et le châtelain finit par conclure qu'il avait affaire à l'oeuvre d'un fou.
"Le Jeu est une sorte de chemin sur lequel se succèdent de multiples choix, annonçait le texte au début. Les choix s'effectuent automatiquement, mais parfois le joueur a l'impression de prendre des décisions raisonnées. Il se sent alors responsable de la destination prise et de ce qui l'attend au bout. Cette éventualité est susceptible de l'effrayer.
"Le joueur voit son chemin apparaître telles des fissures sur la glace - des lignes qui bifurquent et changent de direction à une vitesse vertigineuse. Il pourrait encore comparer son parcours à des éclairs  qui fendent l'air à la recherche de leur cible selon un trajet impossible à prévoir. Le joueur qui croit en Dieu dira : "C'est le doigt de Dieu" - cette omnipotente extrémité du Créateur. S'il ne croit pas en Dieu, il parlera d'"accident", de "concours de circonstances". Parfois le joueur utilisera les mots "mon libre arbitre", mais il est certain qu'il les prononcera avec beaucoup moins d'assurance."

Olga Tokarczuk, Dieu, le temps, les hommes et les anges, Robert Laffont, 2019, p.125-126.


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