vendredi 24 juillet 2020

Monde plus étrange que nous ne pouvons le concevoir

"Le beau livre de Sue Hubbell est une suite de paraboles et de légendes, dont l'une des plus extraordinaires est sans dote celle des parasites qui habitent dans l'oreille des papillons de nuit. Si ces minuscules animaux se logeaient dans les deux oreilles du papillon, celui-ci, devenu sourd, ne pourrait plus entendre les cris ultra-soniques émis par la chauve-souris Myotis lucifugus dont il est la proie habituelle. Pour garder toutes les chances de rester vivant, le parasite, en se logeant dans l'oreille du papillon, émet un signal afin que ses congénères laissent l'autre oreille libre. Une telle intelligence - et une telle courtoisie, dit Sue Hubbell avec humour -  dans un être aussi petit a quelque chose de vertigineux.
Le journal de Sue Hubbell est tout le temps merveilleux. Son savoir, la beauté de son écriture, sa malice rendent parfaitement intelligible la simple leçon qu'elle nous propose. Non pas avec de grandes idées,  ni avec de grands mots, mais en nous montrant toutes les formes de la vie autour d'elle : le passage des oiseaux innombrables et familiers, bruants indigo, oiseaux-satin, vanneaux, jaseurs, mésanges, et parfois, perdue, une de ces mouettes dont les Indiens Shoshones utilisaient les plumes comme emblèmes sacrés. Les oiseaux migrateurs posent des questions, à propos de leur sens de l'orientation, peut-être lié à leur faculté d'entendre le bruit des montagnes et de l'océan. Si ces questions restent sans réponse, c'est qu'ils vivent dans une autre dimension, qu'ils ont un savoir que les êtres humains ne peuvent imaginer. C'est que nous vivons "dans un monde plus étrange que nous ne pouvons le concevoir".
Grâce à Sue Hubbell, nous partageons ce vertige : les milliers d'yeux autour d'elle, qui l'observent avec une attention non moins grande que la sienne, et la présence de ces "millions de petits corps sous la terre", les vrais propriétaires de son domaine."

J.M.G Le Clézio, préface d'Une année à la campagne, de Sue Hubbell, p. 12-13.

Sue Hubbell

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