vendredi 31 juillet 2020

Mon motif c'est de travailler un étal de temps-espace

"Chanson :
c'est très aimable à toi c'est très vertigineux à toi de poser pour
      moi sans te balancer
ne sois pas inquiète tu n'es pas mon motif ni toit ni rien
mon motif c'est de travailler un étal de temps-espace
une simultanéité de tous les points, des harmoniques
un inaccent pur
dans ma défaite de chaque jour
une organisation un dispositif je m'affaire ne sois pas désolée"

Dominique Fourcade, "Madame Cézanne" in Magdaléniennement, P.O.L., 2020, p. 22. 


Dominique Fourcade © John Foley

"Comparant la production du texte « dans l’espace du poème » (p. 79) aux mouvements d’un « trapèze » qui le « projette » d’un « bloc » d’écriture à l’autre, l’auteur résume ainsi cette poétique du vertige dont il est à la fois la proie et le spectateur : « […] le poème est fait de ces traversées qui ne meurent jamais […] ». Et il ajoute : « me trouvant le plus souvent indigne de la petite surface d’écriture sur laquelle je pose pied » (ibid.), tel un acrobate atterrissant sur une plate-forme. Ayant fait état de la technique de juxtaposition qui est la sienne, il enchaîne : « une fois aménagée la langue, ça vient tout seul. mais ça ne vient pas seul. la langue est l’aire où ça fait surface. Le premier travail consiste à établir la langue comme surface. » (p. 141-142). Le mode d’occupation de cette surface est à rechercher dans Lascaux qui « ne raconte rien, n’a ni sujet ni verbe ni c.o.d., ni c.q.f.d., est à lui-même sa propre mémoire. on n’espérait plus, qu’un travail d’une telle souplesse une souplesse d’une telle ampleur arrive, en involonté maximale. un harmonique, qui résulte de la conjugaison des accidents de la surface, de la projection de la couleur et du raptus de la ligne. dans le rapide du poème. pousse la déformation de la forme jusqu’à la limite où la vérité de la forme fait surface. » (p. 145-146). En somme, « la compréhension du volume par la modulation à plat de sa surface est un acte majeur de l’écriture. l’un de ceux que je dois à Cézanne » (p. 155)."
 
 "Bien entendu, l’écrivain est obligé de travailler avec des mots bien plus qu’avec des syllabes. Il faut alors que la multiplicité des relations sensuelles qui se tissent de proche en proche entre les « syllabes », que la « rumeur » qui s’en dégage, aussi séductrice et mortelle que celle du monde – « une syllabe (une idole) ne fait qu’un avec sa tombe […] elle (la syllabe) est l’enfant qui nous adopte et nous tue […] il y a une existence mort c’est ça qu’il y a et c’est la syllabe qui la dit au maximum de singulier […] la syllabe demeure la seule expérience que nous aurons eue d’un contact, elle est en fait, elle ex suelle11, à la fois le contact monde dans la totalité qui lui est propre et la seule durée, ainsi que la perte dans sa plénitude » (p. 29-30) –, il faut que l’écrivain en demande l’équivalent dans des rapports entre les mots qui soient tels qu’ils lui procurent « le vertige » – on se rappelle celui que procurait le « trapèze » poétique à l’écrivain – de perte et de mort qui est l’objet du désir. Donc : « bien que l’on aimerait que les syllabes ne forment jamais un mot, on n’évite pas d’en venir aux mots on ne s’amuse plus. il [Cézanne], bien sûr, a donné l’exemple d’un travail sans armature, se former à ça. d’un mot à
l’autre le vertige comme lien au moins il y a cette aventure, en tout point de la surface, et les espaces entre les mots. les vides, dans mon écriture comment faire, devraient compter autant que les pleins, une surface pleine de vide reste à faire, clarté objective pour jamais. » (p. 179)


" Comme dans ses précédents livres, l’auteur de magdaléniennement dit et redit que l’écriture du « neutre », en se calquant sur les mouvements anonymes qui trament le réel, expose l’écrivain à la perte de son identité : le je, le moi, d’ailleurs produit d’identifications imaginaires, tend à se défaire à mesure que se décompose le tissu du texte sous la poussée des connexions simultanées en tous sens, « machine à vertiges » suscitée par « cette incorruptible comparabilité de tout maintenant au sein du réel14 ». « […] le moi n’est pas le sujet. » (p. 49). Aussi bien n’est-il plus aux commandes : « il y a une volition propre à l’écriture, en quasi autonomie au sein de celle-ci, irrésistible une fois qu’elle est enclenchée. […] j’ai la certitude que ça se fait sans moi. en vérité si, non sans nausée, je regarde en arrière, il me semble que je n’étais pas là quand mes livres sont arrivés » (p. 78). La grande peinture constitue, sous ce rapport aussi, un exemple à suivre : « […] le canal du texte en cours m’aura appris que je suis lui. nous voulons bien, lui-moi, n’être personne, nous savons qu’être quelqu’un n’aidera pas ici, c’est un texte où il doit n’y avoir personne, comme dans les paysages de Cézanne sauf un »
(p. 141). Et puis, radicalement : « je n’est plus, on est une découverte / il également / ainsi que le » (p. 160). Plus radicalement encore, bien avant Cézanne, les « raies fossiles du Museo di Geologia e Paleontologia […] sont de l’art pas par les hommes » (p. 175). « Cézanne aussi quand il fait les choses à fond, c’est de l’art pas par les hommes. » (p. 177). Mais, confesse l’auteur, « moi, même au plus fort du désécrit de mon écriture, je ne suis jamais arrivé à de l’art pas par les hommes, toute la vie je l’ai tenté » (p. 177-178)."

  Laurent Fourcaut, Extraits de la note de lecture sur Magdaléniennement, in Poézibao.

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