jeudi 10 septembre 2020

Un truc dont j'ai horreur

 "Mon cher Michel,

eh bien, tu me donnes le vertige, à a seule pensée de vos déménagements. C'est un truc dont j'ai horreur, ce qui ne m'a pas empêché de passer d'une mansarde à l'autre depuis pas mal d'années. Quant aux manifestations en ton honneur, pour crevantes qu'elles soient, ne t'en plains pas. Combien délireraient à ta place ! [...]"

Lettre 569. [1971] Correspondance Michel Butor-Georges Perros, p. 385.

"Nice, le 16 février 1971,

Mon vieux Georges,

un feu d'herbes et de feuilles mortes dans une propriété au-dessus répand sur la pente une odeur délicieuse. Il y a aussi malheureusement le bruit des marteaux-piqueurs. 

Valse des objets et des malles. Vertige, certes. J'en titube. J'ai dépunaisé toutes les estampes qui avaient peu à peu couvert les murs. Très belles, bien sûr, toutes très belles. Mais on respire mieux. Allez, allez, tout ça sagement dans des cartons. [...]

Lettre 570. [1971] Correspondance Michel Butor-Georges Perros, p. 386.

 


 

mardi 8 septembre 2020

Je suis l'alpha et l'oméga

 "Tirée de l'Apocalypse, l'inscription accompagnant la mosaïque byzantine du Christ bénissant sur la voûte de l'abside me plongeait dans des abîmes de perplexité : "Je suis l'alpha et l'oméga." Je connaissais par coeur la suite du verset : "Je suis le premier et le dernier, le commencement et la fin. Celui qui est, qui était et qui vient."

Pour l'enfant que j'étais, il y avait de quoi être chamboulé par une telle assertion. Elle retentissait en moi comme une autre énigme à résoudre. Cette affirmation d'un principe immuable, intersidéral, sans frontière ni limite, me donnait le vertige."

Jean-Paul Kauffmann, Venise à double tour, Equateurs, 2019, p.166.


"Vision vertigineuse de Venise. Sur une plate-forme suspendue dans le vide qui ne cesse de tanguer, la cité marcienne exulte. Elle se déploie sous mes pieds à perte de vue, pareille à une plaine couleur brun orangé d'où émergent, dans leur force de vie, une forêt de campaniles et de cheminées à cloche. Rares sont les canaux qui se révèlent à cette hauteur, seules quelques lignes vertes sont visibles."

Id. p. 306.

Campo de l’Abazia. La Scuola Vecchia della Misericordi jouxte l’église de La Misericordia. Photo © J. Brunerie.  

Voir le tumblr Venise à double tour


vendredi 4 septembre 2020

Nul mieux que Régy

 "[...]

Parents du silence, ces vides vertigineux par lesquels Régy entendait « illimiter l’espace » s’imposaient à nous dès l’entrée dans la salle comme une respiration autonome et nous n’en perdions jamais la sensation au cours de spectacle. Autant chambre d’échos de la scène qu’entité en soi, massifs, incontournables, ils agissaient sur nous comme une fantastique puissance de suggestion – mais suggestif de quoi, au juste ? Pour Variations sur la mort, pièce centrée sur le suicide d’une jeune femme, de l’insignifiance de la vie humaine au bord d’être engloutie par le néant, réduite à une petite surface éclairée où passent quelques personnes à travers une assez courte unité de temps ? du mystère insondable de la pulsion de mort ? de toute angoisse existentielle ?

Pour Holocauste, où ce vide était dans notre dos (et le spectacle fut parfois donné dans d’immenses hangars abandonnés), de l’ampleur de l’absence des six millions de disparus du judéocide ? du volume de silence de leurs voix éteintes ? de la mesure incommensurable de l’horreur qui nous était décrite ? de l’ampleur infinie de la mémoire qu’il faudrait lui accorder ? Chaque membre du public y aura répondu à sa manière – et chaque réponse n’aura fait qu’amoindrir la portée abyssale de l’interrogation appelée par cette masse impénétrable.

Ce vide obscur était pour Régy une matière propre qu’il travaillait plastiquement pour y sculpter de la présence par un maniement sans égal de la lumière. Il dirigeait ses éclairagistes pour qu’elle intervienne de manière indirecte par réflexion et irradiation, à basse, voire très très basse intensité, au point qu’elle relevait plutôt de la résonance et n’agissait plus comme une force contraire à l’obscurité mais comme une transparence creusant son opacité. Son émergence était d’autant plus un événement que les spectacles s’ouvraient par une lente descente au noir, maintenu intégral pendant plusieurs minutes. [...]"

David Tuaillon, Nul mieux que Régy, AOC, 13 février 2020.

Claude Régy © F. Beloncle


mercredi 2 septembre 2020

Et la vague vous plaque au mur

 "une débauche de cadrages, tout le monde peut voir ça désormais, celui de la cheminée, celui du miroir, celui de la nappe sur la table, celui de la tenture qui commande à l'ensemble (et qui est la grande personne ensommeillée de la simulation de la nuit), et encore le cadre de la porte par-derrière mais par-derrière n'est vraiment pas le mot (il est prescrit par le tableau qu'on ne va pas par-derrière), celui de la fenêtre à droite et les deux cadres vertige au sol-mur qui sont cool, extrêmement cool. que faire en effet dans la nuit sinon cadrer sans arrêt même rien surtout rien. je savais que Matisse était un peintre orgiaque même si apollinien, et que le rien, cadré, devient une fable."

Dominique Fourcade, magdaléniennement, P.O.L. 2020, p.135.

"question arondelle, quand a eu lieu, automne 1977 à New York, l'exposition de William Rubin et John Rewald, Cézanne, the late work, l'une des trois expositions qui m'ont le plus marqué moi qui n'ai cessé d'en fréquenter, et l'un des événements décisifs de ma musique, j'avais déjà regardé et absorbé Cézanne partout où il était visible et aussi durement que possible, pas seulement la paroi l'ouverture conclusive le vertige des dernières années, mais le pariétal de l'oeuvre entière, la maturité, puis les débuts, les débuts ne prenant leur sens qu'à la lumière de la maturité, quand on comprend avec quelle puissance le moderne y prend naissance et la vague vous plaque au mur."

id. p. 173-174.

"comment quand on découvre qu'on ne peut pas exister sans l'écriture et qu'on n'a pas les moyens d'être écrivain. cette sexualité-là comment on vit avec. bien qu'on aimerait que les syllabes ne forment jamais un mot, on n'évite pas d'en venir aux mots on ne s'amuse plus. il, bien sûr, a donné l'exemple d'un travail sans armature, se former à ça. d'un mot à l'autre le vertige comme lien au moins il y a cette aventure, en tout point de la surface, et les espaces entre les mots."

id. p. 179.



lundi 31 août 2020

Plutôt couler en beauté...

 "Le phénomène d'émerveillement, ce moment où l'on se sent partie d'un ensemble plus grand, participe ainsi du vertige à entrevoir fugacement la nature intime d'un moi relié et non plus en extériorité. Dans un entretien, Moitessier définira ainsi la solitude en mer comme une participation à l'univers entier : "On est à la fois un atome et un dieu en réalité." Cette cosmologie particulière, cette manière d'envisager l'univers, il faut en avoir été affecté pour pouvoir l'incarner. Et ce ne sont plus alors la nature, les océans, les marmottes ou les éléphants qu'on défend, mais tout simplement un soi plus grand."

Corinne Morel-Darleux, Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, Réflexions sur l'effondrement, Libertalia, 2019-2020, p.11.

"Aujourd'hui, les loisirs sont devenus divertissement, une industrie source de profits. Le repos fertile est menacé par le travail du dimanche, les parcs de loisirs clôturés, le sport mercantile et la télévision. Qui, pour prendre encore le temps de la vacuité, embrasser le risque de l'ennui et le vertige de la page blanche ? Qui pour s'autoriser ces espaces riches de vide, où le renoncement à la boulimie d'idées vite lues, vite digérées pour être vite publicisées, cède finalement la place à une conscience renouvelée, pour peu qu'on lui laisse le temps de se déployer ?"

Id., p. 21-22. 

"Comment écrire tout ça, ces vertiges... Je relève la tête de La Longue Route en écoutant Yann Tiersen réinventer Tabarly, l'Atlantique Nord déployé sur un piano. Dehors dans le jardin après un mois de sec l'herbe attend la pluie. Brassée de doutes sur la pertinence d'exposer le fil de mes pensées, je me fortifie de la phrase d'Hannah Arendt qui affirme commodément que "les mots justes trouvés au bon moment sont de l'action"."

Id., p. 24.

 


 


jeudi 27 août 2020

C'est un livre qui fume

 "Mon cher Michel,

Ta vie parisienne me fout le vertige. Faut que tu aies une sacrée santé. Que tu as. Je me rappelle l'époque de ta première gloire, renaudote. Tu en sortais fatigué, mais serein. Ce n'est pas donné à tout le monde. (De voir trop de monde) [...]

Lettre 301. [1966] Correspondance Michel Butor-Georges Perros, p. 216.

*

Mon cher Michel, 

[...] Je ne connaissais pas ton poëme sur Londres. (Toi, oui !) Très, très bon. Et Berlin, et Le Moine. C'est un livre qui fume, dans un mouvement de volcan. Mais si tu peux alléger, il ne s'en portera que mieux. On le visitera mieux. On a parfois l'impression que tu obéis à une sorte de vertige qui prend de vitesse le corps même du langage approprié. Que tu n'es jamais saturé de notations. De là un rien trop chargé. La lecture s'en ressent, parce qu'on est comme accroché alors que l'attention d'origine s'est déplacée. Je l'ai lu deux fois. Sûr qu'à la troisième lecture, je pénètrerai mieux dans le dédale. Mais on n'en finirait pas. [...]

Lettre 454. [1968] Correspondance Michel Butor-Georges Perros, p. 311.

 


mardi 25 août 2020

Une chanson magdalénienne

 "retour inévitable au vestiaire les corps redeviennent os et prose, nous nous partageons l'unique miroir (dont une ampoule sur deux a sauté de la rampe), je lui demande une intraveineuse qu'elle me refuse, je la supplie, je tremble trop du vertige de ce que nous venons de traverser pour le faire moi-même, et elle, sans doute exténuée et dégoûtée par le travail de deuil, et ne supportant plus mon état, ne veut rien entendre, c'est là que je découvre qu'elle a quand même un corps de femme, et elle le mien désugoliné"

Dominique Fourcade, magdaléniennement, P.O.L. 2020, p. 83-84.


"s'impose le rêve d'un choeur de filles à voix très basse sans répit, ou même, plus précis que tendu, d'un   cheval qui ne serait que murmure, ou, mieux encore, en symétrique magnifique vertigineuse d'eux (les garçons en slip), je désire d'elles un choeur voué au langage des signes, only girls allowed, là on verra à qui on a affaire"

Id. p. 86

"une scène à la fois, une seul, nous sommes d'accord n'est-ce

      pas, mais tant d'entrées dans l'illicite empire du souvenir que

     l'écriture en a le vertige

ce qui arrive n'a pas de robe juste une étoffe" 

Id. p. 90

"je n'ai jamais caché que Sinatra avait été un de mes maîtres quand je travaillais à la barre, et pas seulement Strangers in the night , mais je n'ai pas dit, en fait parce que je n'y ai pas songé, ou était-ce trop important pour que j'y songe, après que P.O.L., dans un premier temps, a eu refusé Le ciel pas d'angle, Alain Bashung a sauvé ma vie d'écrivain en plein désarroi, le Bashung d'alors, celui de Vertige de l'amour et de Gaby oh Gaby qui m'éraillaient me reraillaient m'émerveillaient, me resonorisait, a guidé mes premiers pas dans Rose déclic quelques semaines plus tard, et dans un tout autre registre, celle de Christophe était déjà très bien, mais la version Bashung des Mots bleus c'est l'extase, tout ça pour m'entendre dire tu chantes juste faux grand-père"

Id. p. 111-112.

puis-je ajouter

qu'il y a dans ma vie

intermittente

une chanson magdalénienne

dont la pariétalité

m'aura servi de modèle

de vertige

elle a toujours refusé

de jurer

de ne pas me quitter"

 Id. p. 114.

 

 


lundi 24 août 2020

On n'est pas tant à s'aimer, je te jure

 Mon cher Michel, [...]

A Paris, j'ai vu une trentaine d'individus. Le vertige. La N.R.F. est de plus en plus sinistre. Pas mal de choses vont s'écrouler, là, en série. On regardera, de près ou de loin.

Ecris-moi, assez longuement, si tu as le temps et l'envie. On n'est pas tant à s'aimer, je te jure. Et c'est tout de même bien nécessaire, puisqu'on peut, malgré tout et tous. Je te salue, Michel, bon courage, travaille bien, comme tu sais.

Georges.

Lettre 170 [1962], Correspondance George Perros-Michel Butor, p.126.

*

Mon cher Michel, [...] 

Je viens de lire Barthes. C'est toujours très excitant. Avec je ne sais quoi d'existentiellement triste. C'est bien vrai que nous sommes passés de la médecine à la chirurgie, puis à je ne sais quoi, que la psychanalyse frôle mais rate le plus souvent. C'est bien vrai et c'est bien. Mais l'honnêteté, qui veut qu'on dise qu'il est impossible d'être sincère, etc. se retourne un peu vite contre l'espèce de vertige, oublié, qu'on a tous connu aux alentours de l'adolescence. [...]

Lettre 228 [1964], Correspondance George Perros-Michel Butor, p.166.

*

Mon cher Michel, 

j'ai donc lu très vite, trop vite, mais tu me presses, c'est diabolique. J'en sors avec le vertige, ça grouille, tes volontés s'y affirment, tes investigations, tes besoins.

J'ai eu le temps de relever une suite de "même", au haut de la page 47. Un peu lourd. Puis, dans Litanie d'eau, je me demande si les rappels vénitiens, p. 129, 153, 161, sont très heureux. Mais tu dois y tenir. [...]

Lettre 241[1964], Correspondance George Perros-Michel Butor, p.174.

 

Michel Butor et Georges Perros, lors d’un déjeuner au zoo de Vincennes, proche de l’université Paris VIII où Butor enseigne (mai 1969) © Collection Georges Perros.tif 

Sur Perros, on peut lire Linda Lê, En attendant Nadeau.

 

lundi 10 août 2020

Quel vertige qui vient de loin

[...]

Il y a toujours un peu de paradis

Sur notre boule terrestre

La Bretagne en a gobé une bonne partie

Et pourquoi y viendriez-vous

Vous dites qu'il y fait froid

Qu'il y pleut quatre jours sur trois

Gens des mois de juillet et d'août

Dites, y reviendrez-vous ?

Mais ne s'y sent-on pas

Moins déserté qu'ailleurs

On s'y arrête

Au gré de je ne sais quel bon vertige

Entre la mort et la vie brève

Entre la mer et le soleil

Qui l'éclabousse en branle-bas

Quand il se lève, à l'est, là-bas 

Ensanglanté royal

Et que des feux de sa crinière

Oui l'image a déjà servi

Il secoue les yeux du jour endormi

Et les crible de sa poussière d'or massif

Quel vertige qui vient de loin

Et de tout près, que l'on peut toucher de la main

[...]

Georges Perros, Poèmes bleus, Poésie/Gallimard, 2019

 

 


jeudi 6 août 2020

Quel crâne, mes aïeux

[1960]

"Mon cher Michel,
[...] Je t'enverrai le Baudelaire cette semaine. J'aimerais relire. Je viens de me taper le dernier Merleau-Ponty. C'est un excellent lecteur, comme tous ceux qui n'ont besoin que de langage des autres pour être intelligents.
Dis si Agnès a retrouvé sa langue. Moi, je serais plutôt en passe de la perdre. Ici, on parle beaucoup pour ne rien dire. Ça donne le vertige. Au bout d'un quart d'heure, tu as des fourmis dans le crâne, il faut vite rentrer derrière son paravent. Face au mur, légèrement humide. [...]

[1961]

"Mon cher Michel,
merci, bien reçu ton petit paquet joliment ficelé. Je le lis doucement, je me demande comment tu t'organises pour fouiller tous les coins avec la même surprenante acuité. Quel crâne, mes aïeux. J'ai même déniché, en fouillant dans une boutique de Quimper, un texte de toi sur Philadelphie dans les Lettres nouvelles. Tous ces voyages "spatiaux" me donnent un peu le vertige. J'espère que tu prends un peu l'air tout de même. Que ne suis-je encore à Meudon ? [...]

Michel Butor/Georges Perros, Correspondance 1955-1978, Joseph K., 1996, p. 63/68.




samedi 1 août 2020

Les histoires, la pagaille et la folie

"Cependant il se méfiait des premiers élans d'enthousiasme des Américains. Il savait comment, la première semaine, ils tombaient amoureux de l'atmosphère d'urgence, des discussions, de la cordialité et de la façon dont les gens se retrouvent au café pour bavarder et pénètrent dans le vie des autres, du fait que même si, à l'extérieur, Israël est obsédé par ses frontières, à l'intérieur il vit sans barrière aucune. Pour eux, ici, le vertige de la solitude n'existe pas, chaque chauffeur de taxi est un prophète et chaque marchand du shouk vous raconte l'histoire de son frère et de sa femme et, tout à coup, le type qui attend derrière vous se joint à la conversation, si bien qu'en un rien de temps la mauvaise qualité des serviettes n'a plus aucune importance parce que les histoires, la pagaille et la folie - la vie, quoi ! - sont tellement plus essentielles."

Nicole Kraus, Forêt obscure, Editions de l'Olivier, 2018, p. 230.

La Divine Comédie (Gustave Doré)

vendredi 31 juillet 2020

Mon motif c'est de travailler un étal de temps-espace

"Chanson :
c'est très aimable à toi c'est très vertigineux à toi de poser pour
      moi sans te balancer
ne sois pas inquiète tu n'es pas mon motif ni toit ni rien
mon motif c'est de travailler un étal de temps-espace
une simultanéité de tous les points, des harmoniques
un inaccent pur
dans ma défaite de chaque jour
une organisation un dispositif je m'affaire ne sois pas désolée"

Dominique Fourcade, "Madame Cézanne" in Magdaléniennement, P.O.L., 2020, p. 22. 


Dominique Fourcade © John Foley

"Comparant la production du texte « dans l’espace du poème » (p. 79) aux mouvements d’un « trapèze » qui le « projette » d’un « bloc » d’écriture à l’autre, l’auteur résume ainsi cette poétique du vertige dont il est à la fois la proie et le spectateur : « […] le poème est fait de ces traversées qui ne meurent jamais […] ». Et il ajoute : « me trouvant le plus souvent indigne de la petite surface d’écriture sur laquelle je pose pied » (ibid.), tel un acrobate atterrissant sur une plate-forme. Ayant fait état de la technique de juxtaposition qui est la sienne, il enchaîne : « une fois aménagée la langue, ça vient tout seul. mais ça ne vient pas seul. la langue est l’aire où ça fait surface. Le premier travail consiste à établir la langue comme surface. » (p. 141-142). Le mode d’occupation de cette surface est à rechercher dans Lascaux qui « ne raconte rien, n’a ni sujet ni verbe ni c.o.d., ni c.q.f.d., est à lui-même sa propre mémoire. on n’espérait plus, qu’un travail d’une telle souplesse une souplesse d’une telle ampleur arrive, en involonté maximale. un harmonique, qui résulte de la conjugaison des accidents de la surface, de la projection de la couleur et du raptus de la ligne. dans le rapide du poème. pousse la déformation de la forme jusqu’à la limite où la vérité de la forme fait surface. » (p. 145-146). En somme, « la compréhension du volume par la modulation à plat de sa surface est un acte majeur de l’écriture. l’un de ceux que je dois à Cézanne » (p. 155)."
 
 "Bien entendu, l’écrivain est obligé de travailler avec des mots bien plus qu’avec des syllabes. Il faut alors que la multiplicité des relations sensuelles qui se tissent de proche en proche entre les « syllabes », que la « rumeur » qui s’en dégage, aussi séductrice et mortelle que celle du monde – « une syllabe (une idole) ne fait qu’un avec sa tombe […] elle (la syllabe) est l’enfant qui nous adopte et nous tue […] il y a une existence mort c’est ça qu’il y a et c’est la syllabe qui la dit au maximum de singulier […] la syllabe demeure la seule expérience que nous aurons eue d’un contact, elle est en fait, elle ex suelle11, à la fois le contact monde dans la totalité qui lui est propre et la seule durée, ainsi que la perte dans sa plénitude » (p. 29-30) –, il faut que l’écrivain en demande l’équivalent dans des rapports entre les mots qui soient tels qu’ils lui procurent « le vertige » – on se rappelle celui que procurait le « trapèze » poétique à l’écrivain – de perte et de mort qui est l’objet du désir. Donc : « bien que l’on aimerait que les syllabes ne forment jamais un mot, on n’évite pas d’en venir aux mots on ne s’amuse plus. il [Cézanne], bien sûr, a donné l’exemple d’un travail sans armature, se former à ça. d’un mot à
l’autre le vertige comme lien au moins il y a cette aventure, en tout point de la surface, et les espaces entre les mots. les vides, dans mon écriture comment faire, devraient compter autant que les pleins, une surface pleine de vide reste à faire, clarté objective pour jamais. » (p. 179)


" Comme dans ses précédents livres, l’auteur de magdaléniennement dit et redit que l’écriture du « neutre », en se calquant sur les mouvements anonymes qui trament le réel, expose l’écrivain à la perte de son identité : le je, le moi, d’ailleurs produit d’identifications imaginaires, tend à se défaire à mesure que se décompose le tissu du texte sous la poussée des connexions simultanées en tous sens, « machine à vertiges » suscitée par « cette incorruptible comparabilité de tout maintenant au sein du réel14 ». « […] le moi n’est pas le sujet. » (p. 49). Aussi bien n’est-il plus aux commandes : « il y a une volition propre à l’écriture, en quasi autonomie au sein de celle-ci, irrésistible une fois qu’elle est enclenchée. […] j’ai la certitude que ça se fait sans moi. en vérité si, non sans nausée, je regarde en arrière, il me semble que je n’étais pas là quand mes livres sont arrivés » (p. 78). La grande peinture constitue, sous ce rapport aussi, un exemple à suivre : « […] le canal du texte en cours m’aura appris que je suis lui. nous voulons bien, lui-moi, n’être personne, nous savons qu’être quelqu’un n’aidera pas ici, c’est un texte où il doit n’y avoir personne, comme dans les paysages de Cézanne sauf un »
(p. 141). Et puis, radicalement : « je n’est plus, on est une découverte / il également / ainsi que le » (p. 160). Plus radicalement encore, bien avant Cézanne, les « raies fossiles du Museo di Geologia e Paleontologia […] sont de l’art pas par les hommes » (p. 175). « Cézanne aussi quand il fait les choses à fond, c’est de l’art pas par les hommes. » (p. 177). Mais, confesse l’auteur, « moi, même au plus fort du désécrit de mon écriture, je ne suis jamais arrivé à de l’art pas par les hommes, toute la vie je l’ai tenté » (p. 177-178)."

  Laurent Fourcaut, Extraits de la note de lecture sur Magdaléniennement, in Poézibao.

lundi 27 juillet 2020

Rêver : il était deux fois la dernière phrase


 

Triplet de vertiges chez l'ami Rémi Schulz dans son dernier billet sur Quaternité :

1/ "Précisément, son roman suivant a été Rêver, paru fin mai 2016, et il y manquait aussi un chapitre, cette fois intentionnellement, un code aisé à dénicher permettant d'accéder en ligne au chapitre 57 manquant. Alors que les premières éditions de Deuils de miel s'achevaient sur un chapitre 34, nombre de Fibonacci, le dernier chapitre de Rêver porte le numéro 89, autre nombre de Fibonacci.  J'y ai consacré ce billet, en juillet 2016, et l'ai fait parvenir à Thilliez par une connaissance commune. J'ai eu confirmation qu'il l'a lu, mais il n'a pas réagi. J'y soulignais diverses possibilités d'emprunt, notamment dans Deuils de Miel, ce qui avait déjà été vu, mais sans porter d'accusation de plagiat, car mes recherches m'ont amené à constater les plus étonnantes coïncidences entre diverses oeuvres, et à pouvoir établir dans plusieurs cas qu'elles ne résultaient d'aucun processus rationnel, selon l'acception usuelle de ce terme du moins.


  Comme beaucoup d'auteurs en vogue, Thilliez publie un roman par an, alternant les enquêtes de ses héros Sharko et Henebelle et des one-shots. Après Rêver, je n'ai pas trouvé de rebond immédiat dans les trois opus suivants, Sharko, Le manuscrit inachevé, et Luca, mais le Il était deux fois de cette année m'est monumentalement significatif, à ce point qu'il m'a fallu préciser d'emblée que Thilliez a eu accès à mon blog, où toutes mes obsessions s'exhibent ad nauseam. S'en est-il inspiré ou non? lui seul peut répondre à la question, et si ce n'est pas le cas le vertige est absolu, au-delà me semble-t-il de tout ce que j'ai rencontré précédemment."



2/ "Je rappelle que le code permettant d'accéder au chapitre manquant de Rêver était 10-15-19-8, soit JOSH, le prénom de Josh Heyman, l'auteur d'un roman faisant allusion à une série de disparitions, de même que Le manuscrit inachevé de Caleb Traskman.
  Ces 4 lettres totalisent aussi la valeur 52, et Josh est le diminutif immédiat de Joshuah, le Josué de l'Ancien Testament, mais aussi le Jésus du Nouveau. Je signalais dans L'affaire Luther Caleb que Josué et Caleb sont réunis par la tradition juive, et l'aspect christique serait souligné par le vrai prénom de Traskman, Christian (Lavache)...
  Le titre de Josh Heyman, La quatrième porte, peut donner à penser que Thilliez prévoyait déjà les suites à venir. Je rappelle que c'est aussi un titre de Paul Halter, et que les polars minoens de Halter ont joué un rôle essentiel dans ma découverte de l'harmonie de la vie de Jung autour du 4/4/44. La quatrième porte de Paul Halter est une histoire de romancier amnésique qui livre sans s'en douter dans un roman des indices de son ancienne vie criminelle.
  Je rappelle encore que dans Rêver, à la construction temporelle éclatée, le chapitre 44 se passe le 4 avril, le 4/4.

  Je reviens à Léane-Enaël victime de Nathan Miraure puis de David Jorlain. L'âme des Queen, le concepteur des intrigues, était Frederic Dannay, dont le nom de naissance était Daniel Nathan, mais un rabbin facétieux l'a inscrit à l'état civil sous le nom David Nathan.

NATHAN MIRAURE = 58 85 est un nom miroir selon la gématrie. Thilliez a utilisé explicitement dans Vertige (2011) la valeur 85 du mot TUEUR."

3/ " Je n'avais pas remarqué en 2015 le nombre des minuscules, 23/15, partage doré de 38, et la suite 15-23-38-61-99-... m'est importante depuis les pages auto-référentes 99 et 61 de Ricardou correspondant à NOUVEAU ROMAN.

  Surtout, le vertige m'envahit devant cette dernière phrase à double coïncidence fibonaccienne interne (du moins pour sa première partie), dont une 21/13, alors que les deux dernières phrases des dénouements du Manuscrit inachevé donnent aussi une double coïncidence fibonaccienne entre elles.
  Ce sont des coïncidences sur des multiples de la suite de Fibonacci 1-1, avec pour les acrostiches la suite débutant par 4-4, et dont les 8 et 7es termes, 84/52, correspondent à 21/13."