" [...] je suis certain qu'il y a des jours entiers où personne ne pense plus à moi, et je crois même qu'il y a des jours où je ne sais plus moi-même ce que j'ai fait, - rien probablement. Je me fatigue tout de suite, j'ai des vertiges si je me tourne brusquement. Je ne fais plus de feu depuis longtemps, j'ai une lampe à alcool que m'a donnée le Sarde (avant de s'enfuir avec une fille de seize ans, il paraît qu'ils vont à Oran). Le troupeau va monter aux pâturages du Niollo dans quelques jours ; je peux l'accompagner, une fois dans la montagne, j'irais mieux."
Henri Thomas, Le Promontoire, Gallimard, 1961, p. 165.
"Quand le berger sera monté dans le Niollo, cela ne fera pas une grande différence pour moi. Au moins le serpent reviendra. Ce sera peut-être un tel bonheur pour moi que je ne le supporterai pas longtemps. Pourtant, j'ai toujours été heureux, je devrais pouvoir supporter un degré très élevé de cet état qui m'est naturel. Non, je ne sais pas s'il faut dire : le bonheur. Je voulais voir : je viens encore d'écrire le mot, et j'ai eu le même trouble que tout à l'heure. Comme quand je fais certain mouvement : il me passe un vertige, je dois m'appuyer, m'asseoir, m'allonger. Mais cela ne m'était pas encore arrivé à cause d'un mot que j'écris. Voilà un mot que je ne peux plus toucher ; il ne faudra même plus que j'y pense bientôt. Il y en a sûrement d'autres. Il ne faut pas que je me trompe, pour ne pas tomber."
Henri Thomas, id. p. 171-172.
En voyant la signature d'Henri Thomas sur cet essai de Maxime Caron, je réalise que c'est bien la même signature qui se trouve sur l'exemplaire du Promontoire que j'ai déniché à la brocante de Chéniers, dans la Creuse, le 18 août dernier. Du même coup, me voici ému d'avoir sous les yeux une trace physique de ce grand écrivain méconnu.
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