"Ses patriotes vainquent ou meurent presque seuls, et sa foule n'est jamais là que pour regarder. Son seul Christ saisissant est au Jardin des Oliviers. Il peint à la rigueur ce qui unit les foules (le patriotisme, mais aussi le fléau), non ce qui unit quelques êtres. L'amour aussi fait partie du sacré, mais il en est l'autre pôle...
Une telle solitude n'est pas sans limites : car Goya n'est pas un prophète, mais un peintre. S'il ne l'avait pas été, son sentiment de la vie n'eût trouvé son expression que dans la prédication ou dans le suicide. Mais il est un artiste, et ce sentiment devient par là irréductible à l'absurde : si profonde que soit la dépendance, si constant que soit le sceau secret de la mort, l'artiste ne les croit pas à l'avance vainqueurs de l'instant vertigineux où l'homme les possède en leur imposant sa transfiguration. Goya n'est pas, parce qu'il figure les tortures, le rival du dieu qui les permit ; mais parce qu'il fait de chacune d'elles un cri du hululement de Prométhée."
André Malraux, Saturne, Le destin, l'art et Goya, Gallimard, 1978, p. 159-160.
Christ au jardin des Oliviers, Goya, 1819. |
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