Claude-Henri Rocquet : Nous parlons des cruautés profondes de l'homme et des religions traditionnelles. Mais celle des mouvements historiques modernes qui sont autant de triomphes de la mort ? Comment l'historien des religions que vous êtes regarde-t-il les mythes terribles de l'humanité moderne ?
Mircéa Eliade : L'historien des religions est confronté à ce phénomène terrible de la désacralisation d'un rite, ou d'un mystère, ou d'un mythe où le meurtre avait un sens religieux. C'est une régression à une étape dépassée depuis des milliers d'années, mais cette "régression" ne retrouve même plus la signification spirituelle antérieure : il n'y a plus de valeurs transcendantes. L'horreur est multipliée et le meurtre collectif est de surcroît "inutile", puisqu'il n'a plus de sens. C'est pourquoi cet enfer est véritablement l'enfer : la cruauté pure, absurde. Quand les mythes ou rites sanglants ou démoniaques sont désacralisés, leur signification démoniaque est augmentée de façon vertigineuse, et il n'y a plus que pur démonisme, cruauté et crime absolu."
Mircea Eliade, L'épreuve du labyrinthe, Belfond, 1978 et 1985
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