mercredi 29 avril 2020

Les choses les plus belles au fond restent toujours en suspension


«Les choses les plus belles au fond restent toujours en suspension». Le mantra de l’autoportrait chanté du come-back 1996 le Tourne-cœur fixe Christophe en sa légende de chanteur de la lévitation lyrique, sa voix haut perchée nous arrache au sol, «comme si la terre penchait» dira-t-il plus tard, vibrante dans ses pâmoisons d’ange lubrique filant en arabesques sur le satin nocturne de dérives sans fin. Christophe l’hédoniste capable de disserter en son volapük lacunaire hachant la langue en une sorte de morse personnel et clignotant sur ses obsessions de musicien toqué de sons, de gimmicks, d’échos démultipliés, de reverb, décomptés en autant de portes dégondées vers le paradis ou le néant, comme si chaque note était un grand dialogue dissocié avec lui-même qui ne se reconnaissait pas et en jouissait et nous avec: «C’est l’inconnu qui me nourrit, le connu je le laisse derrière, j’essaie de le sublimer, quoi», nous disait-il encore au gré d’un entretien fleuve à la sortie de son ultime chef-d'œuvre, en 2016, les Vestiges du chaos.

De Christophe, on conserve des chansons miraculeuses, inusables scies de bals populaires comme opéras cosmiques pour synthés cintrés, d'épiques traversées de la nuit en son Xanadu-studio de Montparnasse, les flashs de looks cinglés (d'airs de communiant yé-yé n'ayant pas encore adopté la stache d'ivoire jauni en atours bodybuildo-gominés). Mais aussi des fascinations pour des détails infimes et vertigineux, comme les marottes qui pouvaient se trouver à l'origine de ses chansons (un mot, un son, un bourdonnement de téléphone dans un haut parleur). Par exemple, ce sticker vermillon et ambigu, pur coup de génie marketing apposé à l'album Pas vu pas pris (1980): «Ce disque contient l'Italie».

Julien Gester et Didier Péron, Un esthète dans les nuages, in Libération, 18 avril 2020.




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