lundi 27 avril 2020

Perdue aux confins du sud


"(...) Les confins évoquent ainsi, inévitablement, le mystère de ce qui se trame par delà la sphère du monde familier. Le mystère de l’autre, de ce qui est vraiment autre, en quelque sorte – non pas cet autre qui, de l’autre côté de la cloison, tousse, chante ou rit, car confinés ou pas, nous sommes dans le même bateau et projetons notre existence au sein d’un même horizon. L’horizon est toujours tributaire d’un regard ; les confins, au contraire, installés à la limite de l’horizon, nous enveloppent même lorsque nous n’y prêtons pas attention. Ils “sont aussi dans notre dos”, écrit Derrida dans son style énigmatique.

Peut-être est-il essentiel de ne jamais nous y rendre – ou bien en de rares occasions – pour préserver leur onirisme. De la province des Syrtes, “perdue aux confins du sud”, Julien Gracq dit d’ailleurs que “des routes rares et mal entretenues la relient à la capitale, au travers d'une région à demi désertique”. À la limite du monde, les confins semblent abandonnés à eux-mêmes. Nul ne s’en soucie vraiment.

Que le secret de leur au-delà puisse nourrir la crainte et le repli dont le mot “confinement” porte en quelque sorte la trace, c’est certain. Mais les confins disent aussi la soif de l’ailleurs dont la rêverie fait son étoffe et la pensée son souci. Or, de ce vertige des confins, nous pouvons sans doute faire l’épreuve sans déroger aux règles du confinement. Qui sait ce que nous pourrions y découvrir ?"

Octave Larmagnac-Matheron, Carnets de la drôle de guerre, Philosophie magazine, 17 avril 2020.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire