"Au début, nous refusons de toutes nos forces, pris de terreur à l'idée de nous approcher d'un mort. Nous préférons ne pas le voir, "nous le rappeler de son vivant, et patati et patata". Il se passe alors quelque chose d'étrange : il suffit de le pressentir du coin de l'oeil, de le deviner presque involontairement, pour découvrir que nous ne pouvons plus cesser de le regarder.
C'est alors que nous nous penchons sur le cercueil comme au bord d'un précipice et que nous regardons au fond en défiant le vertige de notre propre et inévitable avenir."
Rodrigo Fresán, La Vitesse des choses, Passage du Nord-Ouest, 2008, p. 57.
"Indépendamment de tout, je crois que Willi aimerait beaucoup m'entendre dire qu'il a connu une mort à la fois rapide et lente, comme les meilleures fêtes.
Evidemment, au début, la perception des fêtes qu'avait Willi n'avait pas grand chose à voir avec la mienne. Alors que je me sentais à l'aise dans les fêtes imprévues et pourtant aussi puissantes que l'orage d'été le plus banal, Willi rêvait des soirées d'un passé irrécupérable, de fastes élégants et doux qu'il avait amortis en me récitant de longs paragraphes de Proust au coeur même de mes nombreuses nuits vertigineuses. Will lisait sans se presser, prenant la voix qu'adoptent certaines femmes pour décliner les ingrédients d'une recette de cuisine dans un studio de télévision, comme si, de la sorte, en me laissant entrevoir la possibilité d'autres mondes, d'autres habitudes en matière de fêtes, il avait pu conjurer mon esthétique fébrile et compulsive."
Id. p. 111
Rodrigo Fresán |
Fresán attire le vertige. Recherchant une nouvelle fois une illustration pour ce billet, je tombe sur cet article de Gilles Heuré dans le Télérama du 5 janvier 2017 :
"L'écrivain argentin Rodrigo Fresán, né en 1963, vit depuis dix ans à Barcelone. Il est l’auteur des Jardins de Kensington (2004), Mantra (2006), Le fond du ciel (2010) ou Histoire argentine (2012), tous traduits en français. Paru aux éditions du Seuil, son dernier livre s'intitule La part inventée. Officiellement, c'est un « roman ». Disons plutôt qu'il s'agit d'un vertige littéraire où s’entremêlent culture pop, fantasy et, surtout, réflexions sur la littérature et la place de l’écrivain."
Et un peu plus loin, dans l'entretien :
"Il y a beaucoup de bibliothèques dans votre livre, et l’on songe à celle de Borgès, la bibliothèque de Babel qui donne le vertige...
C’est l’une des deux raisons qui font que l’on peut être fier d’être Argentin. La première, c’est d’être footballeur. La seconde est d’être écrivain dans la patrie de Borgès !"
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