lundi 20 avril 2020

Monde des flux financiers et de l'urine des chauve-souris

Patrick Boucheron, «En quoi aujourd’hui diffère d’hier", Mediapart, 12 avril 2020.

Extrait :

"Nous vivons une épreuve grandeur nature de mondialité. Si on pouvait encore avoir des doutes sur le fait qu’on vit dans le monde, qu’il nous rentre dans le corps, c’est terminé. Bien sûr, dans le monde ancien, la peste ou le choléra se déployaient aussi de façon articulée dans un monde interconnecté, mais là, l’échelle est tout autre. Nous ne sommes plus dans le même rayon de courbure – ni en termes de distance, ni en termes de rythmes, ni en termes d’intensité ou de circulation d’informations. La globalisation est accomplie – et de ce point de vue également, on doit se demander si elle ne nous fait pas entrer de force dans ce que Peter Sloterdijk appelle la « posthistoire ».

Cela nous impose de saisir ce qu’on sait déjà, à savoir que les systèmes complexes et interconnectés sont infiniment vulnérables, même s’ils sont aussi résilients. Cela nous impose aussi de comprendre à quel point nous vivons tous aux frontières de la Chine, et que Wuhan, dont certains intellectuels français continuent de parler comme d’une ville inconnue, est un des centres du monde, et d’ailleurs aussi la ville chinoise où les investissements français sont les plus nombreux – ce qui ne l’empêche pas d’abriter le marché aux animaux sauvages que l’on sait. Notre monde est celui-là désormais, celui des flux financiers et de l’urine de chauve-souris. Ce fracas vertigineux des échelles et des temporalités ne peut être décrit que de manière interdisciplinaire."

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