"Dans la moitié gauche du papier, une profuse diversité de hachures détaillaient, au fond de la chambre, en leur forme et leur relief, les froissements, les plis, les retombées des draps et des tentures d'un lit à baldaquin. Proches, déjà, de l'immobile agitation des étoffes et des toiles, un homme et une femme luttaient, étroitement enlacés. Tandis que, ployée à la renverse, la victime essayait avec la main gauche de rouvrir le loquet de la porte close, repoussait de la main droite, mais avec une délicatesse équivoque, le torse de l'assaillant, l'homme entourait du bras gauche la taille soumise, fermait posément la targette avec sa main droite et, d'une pression des lèvres ouvertes sur le cou, obligeait, prise de vertige, la tête de la jeune femme à s'abandonner en arrière. Quatre détails, la chevelure entièrement défaite, une épaule nue, le corsage dégrafé et l'excessif chiffonnement de l'ample jupe rendaient la scène parfaitement intelligible. Après de vives effusions de tendresse, dont le bouleversement du lit portait témoignage, l'homme, soudain décidé à quelque assaut décisif, s'était levé pour assurer la fermeture de la porte. Saisie de panique, son amie, sans prendre le temps de se réajuster, l'avait suivi pour l'empêcher. Un large miroir répercutant les adversaires ambigus et une estampe aux dessins indéchiffrables complétaient la décoration de la chambre."
Jean Ricardou, Les lieux-dits, 10/18, Gallimard, 1959, p. 49-50.
Jean-Honoré Fragonard, Le Verrou, 1777. |
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