lundi 9 mars 2020

La disparition des lucioles

"Dans un célèbre article du Corriere della Sera le 1er février 1975, neuf mois avant sa mort, l'écrivain Pier Paolo Pasolini dénonçait la disparition des lucioles. "Au début des années 1960, à cause de la pollution atmosphérique et, surtout à la campagne, à cause de la pollution de l'eau (fleuves d'azur et canaux limpides), les lucioles ont commencé à disparaître. Cela a été un phénomène foudroyant et fulgurant. Après quelques années, il n'y avait plus de lucioles."
Pasolini dénonçait un phénomène vraiment nuisible, lui, et qui s'est accéléré de façon vertigineuse dans le monde. Celui de l'installation d'un système empoisonné de production et de consommation outrancières, de mercantilisme et d'obsolescence programmée des biens. Pour l'écrivain italien, cette "disparition des lucioles" était l'allégorie de la disparition de la beauté et de l'altérité du monde vivant. Il ne s'agit ici ni de poésie ni d'angélisme ni de passéisme, mais de reconnaître les progrès effarants de notre pouvoir de destruction qui atteint non seulement le monde mais notre propre relation  au monde et à nous-mêmes - ce que les Anciens appelaient notre "âme". Pasolini se souvenait sûrement que, dans sa vision de l'Enfer, Dante évoquait le paysan qui "sur la colline demeure... et voit des lucioles dans toute la vallée" (Enfer XXVI, v.25-29). Notre enfer, c'est peut-être ce qui restera quand nous aurons perdu les visions de présences sauvages, insaisissables et témoins de l'altérité du vivant."

 Frédéric Boyer, La disparition des lucioles, Chronique in La Croix Hebdo,  n°20, p. 9.


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