mardi 17 mars 2020

Une vie dans les mots

"Quand j'avais six ans, ma mère et moi sommes allés à la statue de la Liberté, accompagnés par l'une de ses amies et les deux fils de cette dame. Ainsi que le fait la mère de Sachs dans le livre, ma mère insista pour que je m'habille bien pour l'occasion - je m'en sentis idiot et mal à l'aise - alors que les deux autres garçons avaient été autorisés à porter un jean et un t-shirt. Mais surtout, ma mère eut une attaque de panique ou le vertige ou une sorte de crise alors que nous étions à l'intérieur de la statue. Elle tenta de le dissimuler en inventant une espèce de jeu où il fallait descendre les marches de l'escalier assis plutôt que debout. Après cela, elle eut souvent le vertige. Le fait d'avoir vu ma mère presque perdre la tête à l'intérieur de la statue de la Liberté eut un fort impact sur ma perception de la statue. Je devins incapable de séparer les deux choses, ne pouvant penser à l'une sans penser à l'autre, et je n'y suis jamais retourné depuis ce jour-là."

Paul Auster, Une vie dans les mots, Conversations avec I.B. Siegumfeldt, Actes Sud, 2020, p. 187-188.


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