Le vertige s’accroît du fait que cette puissance ne sait pas où elle va. Ses décisions sont comminatoires, même quand elles se contredisent. Les masques ? Ils ne servaient à rien, c’était certain, tant qu’on n’en avait pas. Ils sont redevenus utiles — c’est-à-dire susceptibles de sauver la vie — depuis qu’on en dispose. La « distanciation sociale » s’impose, c’est entendu, mais la distance de sécurité s’accroît de 50 % quand un Français se rend en Belgique ou franchit le Rhin, et elle double s’il parvient à traverser l’Atlantique. Enfin, on nous dira bientôt quel âge et quelle corpulence interdisent toujours de sortir de chez soi. Mieux valait autrefois être vieux et gros qu’aujourd’hui « senior » et « en surpoids » : les premiers étaient au moins libres de leurs pas. On apprendra aussi pourquoi les écoliers ont cessé d’être contagieux pour des enseignants proches de la retraite à qui on continue pourtant de recommander de conserver leurs distances avec leurs petits-enfants.
Un jour, nous redeviendrons adultes. Capables de comprendre et d’imposer d’autres choix, y compris économiques et sociaux. Pour le moment, nous prenons des coups sans pouvoir les rendre ; nous parlons dans le vide et nous le savons. D’où ce climat poisseux, cette colère inemployée. Un baril de poudre au milieu d’une pièce, et qui attend son allumette. Après l’enfance, l’âge ingrat…"
Serge Halimi, Monde diplomatique mai 2020, éditorial.
John Crossley. — « Deep down » (Tout au fond). |
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